Lors du dernier rendez-vous FeelGood Madame Figaro en partenariat avec Holissence, nous avions eu la chance de profiter de l’expertise du Dr François Bourgognon, psychiatre et psychothérapeute. Comme un goût de trop peu, nous avons souhaité en savoir plus au sujet de son dernier livre “Ne laissez pas votre vie se terminer avant même de l’avoir commencée”. Un concentré de bons conseils pour ceux qui ont envie d’améliorer la qualité de leur rapport à eux même et aux autres, d’habiter mieux leur vie tout simplement.
Merci d’avoir accepté cette interview, parlez-nous de votre parcours. Comment est née cette passion pour la psychologie ?
J’ai un parcours classique, qui a débuté par des études de médecine, et au-delà du tronc commun un spécialisation en psychiatrie. C’est lors de mon internat que je me suis tourné vers différentes approches psychothérapeutiques issues de la famille des thérapies comportementales et cognitives (TTC). Pris de passion, j’ai continué à m’y former.
- J’ai commencé à pratiquer pour moi-même la méditation de pleine présence. Il se trouve que j’étais à un moment de ma vie où je me sentais particulièrement sous pression et cette pratique m’a montré comment sortir du mouvement et me rapprocher de mes besoins de calme et de continuité.
- Puis j’ai étudié la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT pour Acceptance and Commitment Therapy) qui est un prolongement de la méditation. Ce modèle psychothérapique appartenant à la 3e vague des thérapies comportementales et cognitives s’intéresse particulièrement aux processus psychologiques et aux émotions.
- Je me suis également formé à l’hypnose, l’EMDR et aux thérapies brèves.
- Enfin je suis également intéressé par les approches humanistes existentielles, à ce sujet j’aime par exemple beaucoup Viktor Frankl.
Comment s’y retrouver entre ces différentes approches ? Qu’est ce qui les lie ?
Le métier de psychiatre est d’apprendre à poser des diagnostics et traiter les maladies psychiques, notamment à l’aide de traitements médicamenteux. Il ne faut pas oublier qu’il y a des maladies pour lesquelles la clef de voute du traitement reste les médicaments, mais j’aime garder une approche nuancée où la psychiatrie et la psychologie coexistent et l’évolution récente du monde de la psychothérapie est tout à fait passionnante. Ces dernières décennies ont vu émerger ou se développer une multitude d’approches. Et grâce à mes diverses formations, je me suis surtout rendu compte, en prenant de la hauteur, que ces approches convergent toutes vers des principes communs, à savoir :
- l’exploration des difficultés dans le moment présent
- le maniement des états de la conscience
- l’entraînement des attitudes d’acceptation
- la clarification de ce qui importe vraiment
- l’identification de ressources internes et leur activation
- l’engagement dans des actions concrètes et choisies
Personnellement j’utilise beaucoup la thérapie d’acceptation et d’engagement, mise au point par le psychologue américain Steven C. Hayes et ses collègues dans les années 80. On est dans le prolongement psychothérapique de la méditation, c’est-à-dire de la pleine présence à ce qui se passe autour de soi et en soi (pensées, émotions, sensations corporelles). Elle permet de développer les capacités d’observation, d’acceptation, de mise à distance des pensées, et d’engagement vers ce qui est important pour soi.
Vous êtes auteur de plusieurs ouvrages dont “Ne laissez pas votre vie se terminer avant même de l’avoir commencée”. À qui s’adresse cet ouvrage ?
Cet ouvrage s’adresse à tous. J’y ai compilé la synthèse de tout ce que j’estime être opérant et pertinent dans une logique de soin ainsi qu’une perspective de développement personnel et d’accomplissement. La colonne vertébrale de l’ouvrage repose sur les concepts issus de la thérapie d’acceptation et d’engagement auquel j’ai intégré différents outils pertinents (l’hypnose, la méditation…) issus d’autres écoles (Emile Coué, Viktor Frankl…).
J’utilise également beaucoup l’évocation de la mort pour ramener à la vie car elle aide notamment à l’identification des valeurs. Les valeurs représentent ce qui donne du sens a notre existence, une boussole indiquant la direction à suivre. Elles déterminent toutes ces actions qui permettent de se sentir en accord avec soi-même, avec ce qu’on croît juste de faire dans les différents domaines et rôles de notre vie. Elles s’appuient sur des principes qui peuvent nous guider et nous motiver tout au long de notre vie.
Pour comprendre ce qu’est une valeur, il est nécessaire de la différencier de l’objectif qui a une finalité mesurable. C’est un but à atteindre, une case à cocher et concerne le futur tandis que la valeur est une direction dans laquelle on peut toujours faire un pas. Ainsi les valeurs sont plus puissantes car elles sont toujours disponibles. Voici des exemples d’objectifs opposés à une valeur correspondante :
- Se marier est un objectif / Être aimant est une valeur
- Perdre 4 kg / Manger sainement
- Obtenir un meilleur travail / Être utile, efficace et créatif
- Avoir une grande maison / Soutenir sa famille
Le contact avec ses valeurs n’est pas aisé. Celles-ci sont volontiers obscurcies par une recherche de conformité avec le consensus général et une absence de questionnement personnel.
Je tiens également à préciser que quand on trouve en nous une valeur, d’altruisme ou de bienveillance par exemple, cela marche bien mieux que lorsqu’on essaye de nous l’imposer. On a par exemple beaucoup entendu parler de la bienveillance, du fait d’être heureux, ces dernières années. L’idée n’est pas de chercher à imposer un système de valeur consensuel qui entrainerai de fortes réactions et rejets, mais bien que chacun identifie le sien.
Un autre point fondamental qui est abordé est la différence entre le bonheur et le confort. Quand on demande à nos ainés ce qu’ils regrettent de ne pas avoir fait plus tôt ? S’engager activement à être plus heureux ressort souvent. Ils se rendent compte qu’il existe une différence fondamentale entre le confort et le bonheur, et que leur vie a surtout été commandée par la recherche de confort.
Quels enseignements présents dans le livre peut-on mettre en application pour naviguer la crise actuelle ?
Je reviens à l’évocation de la mort qui a est mise en lumière avec la crise sanitaire actuelle, alors que la mort était devenue un tabou total dans notre société. C’est l’occasion de se rappeler à notre finitude et de revenir à ce qui a du sens pour nous. C’est si important lorsqu’on sait qu’on habite notre vie au moment où on la vie.
Cette réflexion sur les valeurs prend tout son sens dans la situation actuelle. À cause de la crise sanitaire, nous sommes la plupart du temps privés de nos objectifs. Comment avance-t-on ? En revenant à nos valeurs justement. Jusqu’à présent, on avait tendance à être dans un logiciel de contrôle, d’objectif et de recherche de confort. Maintenant, on se rend compte qu’il faut changer de logiciel et tendre vers un logiciel d’acceptation de valeurs et d’engagement dans l’action car l’acceptation active est la seule stratégie qui nous permette de répondre habilement aux problèmes incontrôlables.
Il y’a là une dimension intéressante car l’acceptation a souvent une connotation péjorative, or ce n’est pas « baisser les bras », « se résigner » ni « être d’accord avec » et approuver lorsqu’il s’agit de faire face à la maladie, une crise, ou à la souffrance en général. C’est une stratégie active qui repose sur la distinction entre ce qui dépend de nous et ce sur quoi nous n’avons aucune prise. C’est donc apprendre à faire avec ce qui ne peut être évité ou changé.
Aussi, on voit bien qu’on est obligé d’accepter la notion d’inconfort, que ce n’est pas anormal. La crise actuelle nous montre que quel que soit notre situation ou la réalité du moment il n’existe pas de réponse plus puissante que de regarder la réalité qui s’impose à nous bien en face, respecter les mesures et continuer d’avancer – du mieux possible dans cette réalité-là – en direction de ce qui est important pour nous, nos valeurs.
Pour cela il est donc préférable d’arrêter de vouloir se sentir confortable à tout prix en adoptant plutôt la posture du navigateur. Les bons marins apprennent à la lire attentivement les variations de la météo que personne ne peut contrôler, à respecter son pouvoir et à orienter leurs voiles. Plus que jamais, nous devons quitter le mode du contrôle, des objectifs et de la recherche de confort pour entrer dans celui de l’acceptation active, des valeurs et de l’engagement dans l’action.
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